Il est des moments dans l’histoire qui resteront gravés dans la conscience de l’humanité, tant ils sont imprégnés d’injustice que détourner le regard revient à en devenir complice. Gaza est l’un de ces moments.
Lorsque nous faisons défiler nos écrans sur les réseaux sociaux, les yeux vides des enfants blessés à Gaza nous regardent fixement. Et la question qui me hante plus que tout est la suivante : que devenons-nous en tant que société si nous laissons ce génocide se poursuivre ? Pourquoi les dirigeants mondiaux ne font-ils rien pour y mettre fin ?
J’ai été élevée dans cette conviction que les enfants sont une responsabilité collective, des vies fragiles que nous devons protéger, au-delà des frontières, des religions ou des opinions politiques. Pourtant, à chaque jour qui passe et à chaque enfant tué à Gaza, il est déchirant d’assister à cette tragédie, conscient de notre impuissance à y faire obstacle.
Des membres humains pendent des décombres, des nouveau-nés sont emmaillotés dans des lits d’hôpital sans électricité, et pourtant, ces images s’affichent si facilement sur nos écrans. Un enfant brûlé et hagard apparaît juste avant une publicité. Parmi ces images, on reconnaît Ward Jalal Al-Shaikh Khalil, six ans, fuyant une école en feu à Gaza après qu’une frappe aérienne l’a réduite en cendres. Son petit corps enveloppé de fumée et de chaos, les yeux écarquillés par une terreur qu’aucun enfant ne devrait jamais connaître.
En suivant sa silhouette à travers les ruines de ce qui était censé être un lieu sûr, on ressent le poids insupportable d’un monde qui l’a abandonnée. L’histoire de Ward devrait faire la une des journaux, et non être la vidéo éphémère enfouie entre deux publications sur les réseaux sociaux. Elle n’est pas une abstraction, c’est une petite fille qui a failli perdre la vie dans une guerre qu’elle ne comprend pas. Qu’elle ait survécu à ce moment est un miracle. Qu’elle ait dû endurer tout cela est une tragédie impardonnable.
Aujourd’hui, les professionnels de santé de Gaza sont confrontés à des traumatismes d’une ampleur inimaginable. Ils opèrent sans anesthésie, mettent des bébés au monde dans l’obscurité et sont contraints de trier les blessés à la lueur d’une bougie.
Les travailleurs humanitaires et les parents vivent également cette agonie, entendant les cris des enfants qu’ils ne peuvent ni nourrir, ni tenir dans leurs bras, ni sauver. La semaine dernière, l’ONU a déclaré que 14 000 bébés pourraient mourir à Gaza en seulement 48 heures si Israël ne lève pas le blocus humanitaire. Aujourd’hui, des enfants sont massacrés, brûlés vifs et des familles entières sont exterminées.
Que ressentons-nous, nous qui regardons, qui crions dans le vide numérique, sans que rien ne change ? Ces images restent gravées dans notre mémoire. Elles s’inscrivent dans notre quotidien. J’ai pleuré, bouleversée par la cruauté du sort d’une mère, à des kilomètres de là, de l’autre côté de la frontière, qui n’a rien à offrir à son enfant.
Cette exposition médiatique généralisée est en train d’altérer profondément notre psyché sociale. Pour beaucoup, elle entraîne une perte de confiance totale envers les gouvernements et la plupart des médias. On s’accordait autrefois à dire que les enfants ne doivent jamais être victimes de la guerre. Ce consensus semble avoir été balayé dans le cas des enfants palestiniens, et c’est une honte pour l’humanité.
Le pire, c’est la crainte que cette indignation ne s’émousse avec le temps. Que nous soyons conditionnés au fatalisme. Que l’ampleur de cette tragédie – plus de 15 600 enfants palestiniens tués à ce jour selon l’UNICEF – ne devienne qu’une statistique de plus. Les politiciens espèrent peut-être que notre lassitude morale fera taire nos protestations. Mais ce ne sera pas le cas et nous continuerons à élever la voix.
Francesca Albanese, rapporteur spéciale des Nations unies, a récemment déclaré : “J’ai vu les silhouettes de tant de gens, tant d’enfants, brûler vifs, que je ne peux plus regarder un feu sans avoir la nausée”.
C’est une guerre contre l’enfance, et ceux d’entre nous qui ont le privilège de vivre la paix ne peuvent l’ignorer. La compassion ne doit pas être conditionnelle. Si nous ne nous soucions des victimes que lorsqu’elles ressemblent à nos propres enfants, c’est que nos valeurs ne sont pas universelles, mais tribales.
Et pourtant, je crois que nous pouvons encore choisir une autre voie.
Chaque voix, chaque pas fait en signe de protestation est un acte de résistance contre le discours qui prétend que leur vie compte moins. Nous nous sentons peut-être impuissants, mais ensemble, nous pouvons amplifier ce que les enfants de Gaza ne peuvent dire eux-mêmes : Nous sommes là. Nous vous voyons. Nous n’oublierons pas. Jamais.
C’est bien le moins que nous leur devons.
Sources: Middle East Monitor, le 29 mai 2025 ; Traduit par Spirit of Free Speech